En cette nouvelle rentrée politique et dans le contexte de flambée des prix des énergies, j’interpellais le Premier ministre, Alexander De Croo, en insistant sur deux priorités : protéger les contribuables et accélérer la transition. Découvrez le texte de mon intervention.
Monsieur le Premier ministre,
Madame la Ministre,
Je suis rassuré que nous puissions tenir ce débat, non pas à huis clos, mais en public. Il n’y a rien à cacher, surtout lorsqu’on parle d’argent public… Pour nous, la TRANSPARENCE doit primer ! Trop longtemps dans ce pays, le nucléaire a pu bénéficier d’accords secrets. Et s’il y a bien un débat qui préoccupe les Belges en ce moment, c’est celui concernant l’énergie.
Sciensano l’a encore montré dans sa dernière enquête sur la santé mentale des Belges : les Belges sont plus angoissés par les prix de l’énergie que par le Covid !
Et c’est le coeur de mon message : notre rôle est bien entendu de veiller à la sécurité d’approvisionnement, mais pas à n’importe quel prix. Mon job de parlementaire, c’est aussi de veiller aux deniers publics et de limiter au strict minimum le risque financier pour l’État belge. Parce que le capital public, c’est l’argent de ceux qui n’en ont pas.
Vu la situation catastrophique en Ukraine et l’indisponibilité inattendue sur le parc nucléaire français (sur 56 réacteurs, 32 sont à l’arrêt!), nous vous soutiendrons pour tenter de concrétiser une prolongation des 2 réacteurs les moins vieux pour 10 ans, pour faire la transition vers le 100 % renouvelable à plus long terme. MAIS attention… Oui à une prolongation de 2 unités pour 10 ans pour autant que le prix à payer pour le citoyen soit acceptable. Moi, c’est ça qui me préoccupe : le principe Pollueur-Payeur.
Il est hors de question qu’après leur facture d’énergie hallucinante, les Belges doivent encore trinquer pour la facture des déchets radioactifs.
Le contour de l’accord : 2 réacteurs pour 10 ans, pas plus
D’abord, pour remettre l’église au milieu du village… car j’entends certains plaider pour 3, 4, 5, 7 réacteurs nucléaires, comme s’il suffisait de claquer du doigt. Je trouve ça hallucinant de faire croire aux gens qu’il suffit de rajouter 10, 20, 30, 40, 50, 100 ans dans la loi, pour que ces réacteurs tournent.
– Le combustible nucléaire, l’uranium enrichi (dont une partie vient d’ailleurs de Russie), est commandé pour des durées prévues des années à l’avance.
– Certains réacteurs, comme Tihange 1 qui ne peut résister à la chute d’un avion de ligne commercial normal (je ne parle même pas encore d’un cargo), sont complètement out of date en matière de sûreté nucléaire.
– Et puis surtout, il y a un exploitant… Difficile de construire une maison sans maçon. Et justement pour l’exploitant, l’extension de Doel 3 et Tihange 2 est impossible pour, je cite, « des raisons de sécurité et de faisabilité technique ».
Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous donc re-confirmer ici publiquement, une fois pour toutes, pour ne plus perdre de temps sur Twitter, devant le Parlement, que le gouvernement ne travaille PAS et n’a JAMAIS travaillé sur ces pistes (irréalistes, en termes de sécurité) de prolonger Tihange 2, Doel 3, ou encore d’autres réacteurs bien plus anciens/problématiques que Tihange 3 et Doel 4 ?
Les modalités de l’accord
La décision du 18 mars est très claire. Elle concerne la prolongation, pour 10 ans, de 2 réacteurs (les moins anciens), à condition que le démantèlement et la gestion des déchets radioactifs du passé restent entièrement à charge d’Engie.
- Ligne du temps / Calendrier
On a parfois l’impression – à entendre certaines personnalités – qu’il suffit de claquer des doigts pour prolonger les réacteurs nucléaires… Mais il y a de grosses négociations à mener jusqu’au bout, puis d’importants travaux de mise aux normes à réaliser… Donc quand bien même vous arriviez à convaincre Engie de prolonger maintenant, il faudrait encore quelques années… Or, cette prolongation n’a de sens que si les travaux sont prêts pour novembre 2026. Quelles garanties pouvez-vous donc imposer à Engie pour que les travaux soient prêts à temps ? On sait à quel point les délais peuvent être rallongés dans le secteur du nucléaire.
- Travaux de mise aux normes
Là aussi, on l’oublie souvent, mais il y a un coût lié à ces travaux. J’avais entendu parler de 600 à 800 millions d’euros par réacteur. Pourriez-vous m’indiquer précisément le coût de mise aux normes pour les 2 unités pour 10 ans ? C’est d’autant plus important de connaître ce coût (probablement de plus d’un milliard d’euros), si vous nous dites que l’État belge va devoir mettre la main au portefeuille et participer dans les coûts de la prolongation ?
- Prix de l’électricité
Engie a souvent demandé dans le passé des prix garantis en échange d’une prolongation du nucléaire… ça peut sembler fou à l’heure où les prix de l’électricité dépassent aujourd’hui les 700€/MWh (contre 55€ en temps normal). Mais la question mérite d’être posée : Engie a-t-elle demandé des prix garantis ?
- Déchets radioactifs
Une balise capitale à nos yeux, c’est le principe Pollueur-Payeur. Engie doit assurer 100 % de sa responsabilité historique (pas 50 ou 80 %, mais la totalité des coûts historiques). Il est complètement hors de question d’aller encore offrir un cadeau à Engie, alors que les Belges souffrent aujourd’hui de l’explosion des prix de l’énergie ! Et je pense que l’ensemble de cette Commission partage ce principe de base puisque nous avons voté il y a quelques semaines – à l’unanimité – une nouvelle loi pour renforcer les provisions nucléaires.
– L’on parle d’un « cap », d’un « plafond »… Engie Electrabel a toujours tenté d’obtenir ce « cap ». Car si le consommateur lambda oublie souvent le coût caché des déchets radioactifs, l’opérateur nucléaire, lui, ne l’oublie pas.
Comment pouvez-vous (ou la CPN, ou l’ONDRAF), même avec les meilleurs experts au monde, chiffrer le scénario de gestion sûre des déchets nucléaires, de manière ‘définitive’ ?
Car il s’agit ici que ce plafond ne soit pas franchi en 2100 ou 2150 … lorsqu’on se rendra compte que l’installation de stockage à long terme des déchets radioactifs (durant 300 000 ans) coûtera le double voire le triple de ce qui est provisionné aujourd’hui. Sinon, ce sera de nouveau au contribuable belge de trinquer ! Et ça, il en est pour nous complètement hors de question. Ce serait du vol.
De quoi s’agit-il donc ? D’un plafond cadeau pour Engie, ou d’un plafond de sécurité pour l’État et donc les deniers publics ?
Comment allez-vous étudier ce montant ? Sur les déchets de catégorie A, l’on peut estimer le coût sans trop de problèmes. Mais sur les déchets de catégories B et C, nous ne disposons d’aucune expérience « industrielle ». Nulle part dans le monde, nous n’avons un site géologique pleinement opérationnel pour le stockage des déchets hautement radioactifs et/ou de longue durée de vie. HADES, c’est un labo. Burre en France, ce sont des galeries, mais sans déchets à ce stade…
Même l’ONDRAF indique à chaque fois le même important caveat dans ses inventaires du passif nucléaire : « Les estimations de coûts ne couvrent PAS les incertitudes des scénarios et options majeures, soit typiquement la destination finale des déchets B&C (déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie), la gestion des combustibles usés (retraitement et/ou stockage direct) et la politique nationale de gestion des déchets radifères à gérer en tant que déchets radioactifs. »
Avec quelle prime de risque (« risk premium ») ? Comment assurer pareille incertitude ? Quand la marge d’erreur est de 100, 200, 300 %, il me semble impossible de calculer une telle prime.
Il importe donc de veiller à dessiner un scénario, là aussi, conservateur, réaliste.
– Surtout sans connaître l’option finale choisie par les citoyens au cours du processus de consultation populaire pour la gestion à long terme des déchets radioactifs ? N’est-ce pas mettre la charrue avant les bœufs que de déterminer un montant sans même connaître les modalités pour lesquelles Engie devra payer ?
– Pour nous, une balise supplémentaire concerne le taux d’actualisation des provisions nucléaires. Ce risque d’actualisation doit absolument être à charge d’Engie Electrabel. C’est la méthode de calcul (en pourcentage) qui permet de prédire qu’il faut x milliards aujourd’hui pour constituer les 41 milliards d’euros nécessaires en 2100 pour le démantèlement et la gestion des déchets. Vu la situation particulièrement volatile sur les marchés financiers, ce taux d’actualisation doit être à charge d’Engie Electrabel… Sinon, l’État pourrait vite se retrouver floué.
Quid, enfin, si Engie considère le montant à payer comme trop élevé ? Et donc de se décharger de son obligation « Polleur-Payeur » ? Est-ce que ce sera synonyme de fin des négociations ?
- Démantèlement
Qui paie la note du démantèlement pour Tihange 3 et Doel 4 ? Qu’on démantèle dans 5 ou 10 ans, je ne vois pas bien la différence et donc la légitimité pour Engie Electrabel de demander que l’État doive aussi trinquer pour les milliards d’euros nécessaires au démantèlement.
Qui paie la note additionnelle en cas de hausse des coûts prévus aujourd’hui et donc provisionnés aujourd’hui ? (Ce n’est pas impossible, c’est même le plus fréquent ! En France, la Cour des Comptes a estimé que ces coûts ont doublé !)
Quid si Engie Electrabel prétend que cette hausse est due à la prolongation de Tihange 3 et Doel 4 ? L’État belge devra-t-il encore débourser de l’argent ?
- Special Purpose Vehicle
Quelles sont les formules préconisées par le gouvernement fédéral pour participer dans le capital ?
Je lis ceci dans De Tijd de samedi dernier : « volgens welingelichte bronnen [is] de mogelijkheid opengelaten dat Engie zijn belang na verloop van tijd afbouwt en zich zelfs helemaal terugtrekt. »
Quelle garantie contre un tel retrait d’Engie ? Pourrait-il y avoir plus de deux acteurs, par exemple EDF Luminus, ou encore d’autres acteurs privés ? Quid en cas de faillite de l’opérateur belge, Electrabel ?
Quel partage des coûts ? Et… des bénéfices ? Quels sont les risques financiers qu’impliquent une telle nouvelle structure ?
Sommes-nous bien d’accord que l’opérateur / l’exploitant (responsable de la sûreté nucléaire) reste l’acteur privé, Engie Electrabel ?
Quid du statut du personnel de Tihange et Doel ? Le personnel va-t-il avoir un nouvel employeur ? J’y suis particulièrement attentif comme député habitant Huy, en face de la Centrale nucléaire de Tihange. Les conditions de travail ne peuvent pas changer et doivent évidemment rester soumises à la CP 326.
- Modifications à l’avenir ?
Quid enfin du futur ? Un prochain Parlement, ou plutôt un futur gouvernement pourrait-il encore modifier les conditions du deal par arrêté royal ? Ou y aura-t-il des indemnités à payer ?
Transition
Bref, il faut négocier pour aboutir ! Mais que les choses soient claires : nous n’accepterons jamais de signer un accord qui ferait courir le risque à l’État de se ruiner.
En conclusion, je m’en voudrais de terminer mon intervention sans dézoomer sur l’objectif principal qui doit guider l’action de votre gouvernement : la transition énergétique ! C’est le CAP vers les 100 % renouvelables. Notre commission était en visite en Mer du Nord pour admirer les éoliennes offshore, une fierté 100 % belge et propre. Votre gouvernement a quadruplé (x4) les objectifs en matière d’énergie éolienne en Mer du Nord.
Bref, voilà nos 2 priorités :
1) accélérer la transition énergétique vers le 100 % renouvelable et 0 carbone (oui, c’est possible ! On avait déjà l’étude d’Elia, on dispose maintenant d’une nouvelle étude de 15 presitigieuses universités ! Et oui, si nécessaire, via un recours limité à 2 réacteurs nucléaires durant 10 ans)
2) protéger les contribuables, non seulement ceux d’aujourd’hui face à la hausse des prix, mais aussi les générations futures face au coût caché colossal des déchets radioactifs (le bouclier social)
=> Bref, bon pour le climat et bon pour le portefeuille !