La sûreté nucléaire à l’épreuve d’une pandémie : anticiper les crises pour mieux les gérer !

Ce mardi 5 mai, j’interpellais le président de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) sur une série de questions ayant pour fil rouge la mise à l’épreuve, par une pandémie et pas seulement, de la sûreté nucléaire. Ou l’importance d’anticiper les crises pour mieux les gérer.

Le risque zéro n’existe pas. Si un accident nucléaire reste, et c’est heureux, hautement improbable en Belgique, il n’en demeure toutefois pas impossible – la Belgique dénombre en effet 20 centrales nucléaires dans un rayon de 100 km.

Si je suis conscient qu’il est très difficile de tout prévoir, c’est aussi souvent ce qu’on ne prévoit pas qui survient. C’est pourquoi il me paraît capital de soulever la question de la sûreté nucléaire face au Covid-19 durant cette crise.

Je ne suis d’ailleurs pas le seul à soulever cette question. Le directeur général de l’AIEA, Rafael Mariano Grossi, l’a fait un peu avant moi en affirmant que « nous devons être conscients de la possibilité que des urgences nucléaires et radiologiques relevant de la sûreté ou de la sécurité puissent être accompagnées de catastrophes naturelles, sanitaires ou autres. » Il ajoute que le fait de « mener cet exercice à un moment où nos quotidiens sont troublés par la crise du Coronavirus démontre notre détermination à maintenir une capacité de réponse urgente, quelles que soient les causes et circonstances de la crise. » Il conclut en indiquant que « l’AIEA agira rapidement afin de coordonner une réponse internationale efficace. »

Nous en sommes témoins : affronter une pandémie comme le Covid-19 constitue un défi sans précédent pour la Belgique. Tant les experts que les politiques ont manqué, par le passé, de l’imagination et de l’anticipation nécessaires pour prévoir tous les scénarios des risques envisageables, et notamment le manque de matériel de protection comme les masques.

Or, si le combat contre le virus est une question de mois ou d’années, les conséquences d’un accident nucléaire s’appliquent sur des décennies voire des siècles (comme le montrent encore les feux à Tchernobyl ou les risques de déversements des eaux contaminées dans le Pacifique à Fukushima).

J’ai relu le dernier plan d’urgence nucléaire en vigueur en Belgique. Nulle part je n’y trouve la moindre référence à un risque accru vu la simultanéité d’une pandémie telle que le Covid-19…

Affecté par les mesures de confinement, EDF a prévenu mi-avril que la production nucléaire française devrait s’établir en 2020 à son plus bas niveau depuis trente ans. Comment se fait-il qu’en Belgique, rien n’ait affecté la production nucléaire ? Question parmi une série d’autres, que voici, posées ce mardi 5 mai au président de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN).

1. Quels sont les risques de contamination et risques médicaux mais aussi psychosociaux pour les travailleurs de Doel et Tihange? Quel est le nombre de personnes infectées par le Covid-19 dans les centrales nucléaires belges?

2. Au vu de la baisse des consommations d’électricité, ne serait-il pas préférable de mettre plus de réacteurs à l’arrêt complet afin de réaliser les arrêts de tranche dans des conditions optimales de sécurité, plutôt que d’entretenir une situation qui met des travailleurs en danger et de risquer de voir des sites se transformer en foyer épidémique? Quelles sont les activités suspendues ou reportées sur les autres tranches de Tihange et Doel?

3. L’AIEA a-t-elle imposé de nouvelles mesures de sûreté nucléaire face à la pandémie actuelle? Et si oui, lesquelles? La Belgique a-t-elle participé au dernier exercice de l’AIEA « ConvEx-2b » et si oui, quelles en sont les leçons? La Commission européenne, HERCA ou WENRA ont-ils imposé à la Belgique de nouvelles mesures?

4. Jugez-vous que le risque nucléaire serait accru en cas d’accident nucléaire simultané à une pandémie telle que le Covid-19? Quelle est votre appréciation du niveau actuel de sûreté des installations nucléaires? Un incident grave ou un accident nucléaire pendant la crise sanitaire pourrait-il, selon vous, être correctement géré?

5. Le Conseil supérieur de la santé (CSS) avait pris l’initiative de rendre un avis intitulé « Accidents nucléaires, environnement et santé après Fukushima ». Le CSS envisage-t-il de rendre un avis sur la simultanéité d’un accident nucléaire et d’une pandémie telle que le Covid-19? Le CSS a déjà souligné la nécessité de réaliser des analyses approfondies de vulnérabilité et d’en tirer les leçons au niveau de la sûreté et de la planification d’urgence. Une analyse de vulnérabilité vise à identifier tous les éléments qui peuvent jouer un rôle aggravant au cours d’un accident. L’AFCN a-t-elle réalisé ou compte-t-elle réaliser une analyse approfondie de la vulnérabilité du plan d’urgence nucléaire face au Covid-19?

6. Est-ce que et comment Engie Electrabel a revu et réexaminé la planification d’urgence interne des centrales nucléaires face au Covid-19? Celle-ci a été communiquée à l’AFCN? Avez-vous (le Centre de Crise, l’AFCN et/ou Bel V) récemment actualisé ces plans d’urgence à Doel et à Tihange pour tenir compte des mesures de distanciation sociale dans les plans d’évacuation et notamment de la disponibilité en baisse des services d’urgence, des hôpitaux, du Centre de Crise? Si oui, pourriez-vous nous transmettre les nouvelles adaptations du plan d’urgence nucléaire face au Covid-19? Quelles sont les précautions additionnelles pour protéger toutes les équipes d’assistance? Sinon, quand comptez-vous actualiser le Plan pour tenir compte des risques de pandémie simultanée? Avez-vous communiqué des mises à jour du Centre de Crise sur la préparation à un accident nucléaire?

7. Un plan spécial de protection et d’évacuation a-t-il été mis en place par l’AFCN concernant les personnes vulnérables (l’évacuation des hôpitaux et maisons de repos, des femmes enceintes et des enfants, par exemple) comme le recommandait le Conseil Supérieur de la Santé vu qu’il s’agissait là du point le plus critique dans l’évacuation de la population à Fukushima?

8. Pourriez-vous partager avec le Parlement (et même la population toute entière) les plans d’urgence (PPUI) des hôpitaux belges situés dans un rayon de 30 km autour de Tihange et Doel?

9. Quelles sont les mesures de sécurité supplémentaires vu la crise actuelle imposées au CHRH situé à moins de 3,5 km de la centrale de Tihange? Le CHRH prévoit-il un scénario à grande échelle depuis les limites mises en lumière par l’exercice Pegase réalisé en 2012 ? Pourriez-vous partager avec le Parlement le plan d’évacuation du CHRH?

10. La crise actuelle met en lumière le manque criant de matériel médical comme les masques. Est-ce que des pilules d’iode sont disponibles en suffisance et rapidement pour toute la population? Quel est le pourcentage de comprimés d’iode retiré en pharmacie dans les zones à risque? Dispose-t-on de suffisamment d’appareils de décontamination pour les véhicules et personnes quittant la zone d’urgence? Le personnel hospitalier est-il bien outillé pour se protéger contre l’irradiation?

11. En cas d’évacuation, dans quelle mesure les capacités d’accueil sont-elles réduites par les mesures exceptionnelles de confinement? Quels sont les centres d’évacuation pour Doel et Tihange, et dans quelle mesure leur capacité d’accueil est-elle affectée par la crise actuelle? Ces centres d’évacuation sont-ils préparés à respecter les mesures de distanciation physique?

12. Combien de contrôles à distance ont été réalisés par l’AFCN depuis le début du confinement?Combien de contrôles sur site ont été réalisés depuis le début du confinement, contre combien durant la même période l’année passée? Combien d’inspections in situ (y compris de Bel V et d’organismes agréés) ont dû être annulées? Ne craignez-vous pas un risque accru de non-qualité de maintenance et de fraudes en l’absence de contrôles dans les établissements que vous surveillez d’habitude? Comment procédez-vous précisément pour effectuer les contrôles à distance et vous assurer de la véracité des informations qui vous sont fournies, eu égard au risque de fraude? Si la crise perdure, les inspections in situ resteront-elles annulées? Les déplacements sur le terrain vont-ils reprendre, et si oui, quand?

13. Quel est le plan de déconfinement dans les centrales nucléaires ? Quelles recommandations l’AFCN a-t-elle formulé à Engie Electrabel pour le déconfinement ? Quelles règles supplémentaires de vigilance seront d’application à Doel et Tihange ? L’AFCN approuve-t-elle la mise en place de caméras thermiques ?

14. Dans quelle mesure les calendriers des chantiers de travaux sur les réacteurs nucléaires sont-ils affectés par les mesures de confinement ? Pourriez-vous nous livrer un calendrier revu des différentes opérations de maintenance et d’arrêt des réacteurs belges ?

15. Les transports de matières radioactives se poursuivent-ils en Belgique malgré le confinement ?