Ce jeudi 19 novembre, dans le prolongement de l’annonce faite par Engie Electrabel d’arrêter ses investissements liés à la prolongation du nucléaire, j’ai demandé au Premier ministre et à la Ministre de l’Énergie un vrai plan social à Tihange. Pour préparer la transition énergétique du pays. Sérieusement. Sans aucun licenciement sec. Mais au contraire, avec plus d’emplois dans le démantèlement, l’innovation et les énergies du futur. Et pour notre région en particulier.
+ Ma lettre ouverte aux travailleuses et travailleurs de Tihange :
Engie Electrabel a annoncé mardi arrêter ses investissements liés à la prolongation du nucléaire. Même si l’arrêt était déjà acté pour au moins 5 des 7 réacteurs et que la loi de sortie de 2003 n’a finalement été que re-confirmée par le nouveau gouvernement Vivaldi, je comprends parfaitement l’inquiétude suscitée quant à l’impact sur l’emploi et l’avenir.
Comme tout habitant de Huy, je connais plusieurs parents d’amis et des voisins qui travaillent directement (ou indirectement) à la Centrale nucléaire de Tihange. J’ai grandi avec cette centrale toute mon enfance et adolescence. Je suis donc bien placé pour savoir à quel point le sujet est sensible et clivant.
La sortie du nucléaire représente un énorme enjeu pour la région hutoise. Le bassin mosan n’est pas (ou, plutôt n’est « plus ») comparable à la région hyper-industrialisée du Port d’Anvers, à côté de Doel. Un tiers des recettes de la Ville où je vis provient de la Centrale de Tihange. Et surtout, ce sont des milliers d’employé-e-s qui habitent dans le coin. Comme mon collègue, Rodrigue Demeuse, au Parlement de Wallonie ou les conseillères communales écologistes de Huy, je me sens donc particulièrement concerné par les enjeux d’emploi et de reconversion économique sur le site de Tihange.
Cette semaine, à la Chambre, la Ministre de l’Énergie a présenté son programme pour ces 4 prochaines années. Et la première demande que j’ai formulée concernait l’emploi à Tihange. Je reformulerai cette demande cet après-midi en plénière à la Chambre devant le Premier ministre. En effet, actuellement, laloi de sortie du nucléaire (l’article 10) prévoit un plan d’accompagnement social seulement une fois la fermeture de la centrale. Or, pour moi, on ne peut attendre la dernière minute pour préparer l’accompagnement social des travailleuses et travailleurs ! Il faut impérativement modifier la loi et imposer la négociation d’un plan social dès aujourd’hui, intégrant les opportunités dans le démantèlement, les départs naturels, les reclassements et les possibilités de mobilité. Les partenaires sociaux doivent être concertés dès maintenant pour préparer l’avenir.
Responsables politiques et industriels doivent arrêterde faire l’autruche et de jouer aux faux étonnés ! Dès le départ, ces centrales ont été construitespour une duréede vie limitée. En 2003, lors du vote de la loi de sortie du nucléaire, j’avais 14 ans. Aujourd’hui j’en ai 31 et je suis fâché contre ces responsables qui, pendant tout ce temps, ont agi et continuent à agir à la petite semaine, sans aucune volonté d’anticipation. Tomber des nues, ce n’est pas la méthode qui permettra de réfléchir à la reconversion du site et de ses travailleurs.
Plutôt que de chercher un bouc émissaire facile, nous devons toutes et tous nous mettre à table entre responsables politiques (peu importe le niveau de pouvoir ou le parti), avec les partenaires sociaux et les forces vives de la région. Car l’opérateur ne doit pas esquiver sa responsabilité : l’accord de stabilité de 1962 lui interdit tout licenciement massif. C’est justement sur base de cet accord que l’entièreté des travailleuses et travailleurs de la centrale des Awirs (à quelques km de Tihange) vient d’être reclassée. En ce qui me concerne, je refuse de vous laisser seuls : il faut une solution pour l’ensemble du personnel.
D’abord, le démantèlement. On ne démantèle pas un réacteur nucléaire comme une usine de pinces à linge. Il faut casser ce cliché qu’il n’y aura plus de travail après 2025. Démanteler une centrale nucléaire nécessitera le maintien de 700 personnes sur chaque site (sans compter les emplois mobilisés pour le stockage des déchets radioactifs). Plutôt que d’aller chercher de la main d’oeuvre bon marché (mais moins expérimentée) ailleurs, nous devons absolument avoir recours aux employés d’ici qui connaissent bien mieux que quiconque l’outil industriel belge.
Et au-delà de Tihange et Doel, il ne faut pas être un grand spécialiste pour comprendre que, sur 200 réacteurs situés en Europe avec une moyenne d’âge de 33 ans, le secteur du démantèlement peut représenter un boom économique dans les années à venir. Dans un rapport de 2019, la Commission européenne estime d’ailleurs que le marché des services et travaux de démantèlement des centrales nucléaires devrait totaliser pas moins de 405 milliardsd’eurosau cours du siècle à venir. Bref, des milliers d’emplois sontà créer dans ce secteur. Une opportunité à saisirpour faire de Tihange un centre d’excellence du démantèlement.
Mais j’aimerais surtout me tourner avec vous vers le futur. Soyons de bon compte : le futur, ce n’est pas la prolongation d’un seul réacteur d’une capacité d’1GW sur une période d’à peine 10 ans (ce qui ne ferait que déplacer le problème dans le temps…). Le futur, c’est de faire de la Belgique le pays le plus vert d’Europe. Les technologies avancent et nous avons une responsabilité partagée d’investir dans les modes de production d’énergie les plus modernes et les moins polluants. À l’image du numéro 1 de l’électricité en Allemagne, RWE (plus gros pollueur de CO2 en Europe et exploitant de centrales nucléaires), qui devient petit à petit un producteur propre, Engie Electrabel s’avère déjà être l’un des premiers partenaires de la transition énergétique en Belgique et ailleurs dans le monde.
Je le dis avec beaucoup d’humilité : personne ne réussira seul dans son coin. C’est ensemble que nous devons embarquer le train du Green Deal. Non par idéologie, mais par réalisme. Rien qu’en éolien offshore en mer du Nord, il y a aujourd’hui 1,7 GW de capacité installée. Nous pouvons techniquement atteindre4,4 GW après 2025. Et comme le montrent de récents rapports du Bureau du Plan, le renouvelable peut créer jusqu’à 6 fois plus d’emplois que le nucléaire : pour une même quantité d’énergie produite de 100 GWh, le nucléaire crée 14 emplois à temps plein, alors que l’éolien en procure 17 et le photovoltaïque 87. Une étude du Gouvernement wallon indique aussi que le renouvelable crée plus d’emplois « régionaux » et ancrés dans notre territoire. Évidemment, chaque métier est différent. Mais le potentiel économique est bien réel et le capital humain est indispensable pour le développer.
Le défi est gigantesque et nous avons besoin de vous pour le relever – dans le démantèlement, dans l’assainissement, dans la gestion des déchets radioactifs, dans l’innovation nucléaire, dans l’installation de nouvelles capacités de production électrique. Je comprends que vous vous battiez pour votre outil, il n’y a rien de plus légitime. Car je suis bien conscient de votre professionnalisme, du sens de la sécurité, du talent que vous avez entre vos mains et des années de carrière que vous avez accumulées sur le site. Une page se tourne, mais le nouveau chapitre de progrès qui s’ouvre ne s’écrira pas sans vous.