A deux reprises en autant de mois, j’ai interrogé la Ministre de l’Energie, Marie-Christine Marghem, sur le Traité de la Charte de l’énergie (TCE), accord multilatéral entré en vigueur voilà plus de 20 ans et qui établit un cadre pour le commerce et l’investissement dans le domaine de l’énergie. Problème parmi d’autres : cet accord protège les investissements dans les énergies fossiles et nucléaire. S’il est urgent de le renégocier afin de répondre à une série d’objectifs climatiques, la Belgique semble manquer d’une position stratégique. Plus encore, d’une position volontariste.
Peu de gens le savent mais actuellement, le Traité sur la Charte de l’énergie, dont fait partie la Belgique à l’instar de 52 autres signataires et parties contractantes, dont la plupart des Etats membres de l’Union européenne, l’UE elle-même et Euratom, est incompatible avec les objectifs fixés par l’Accord de Paris. Ses dispositions n’ont plus été revues depuis sa signature dans les années 1990. Si l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 nécessite de mettre un terme à la protection des investissements dans les combustibles fossiles, ce Traité va à contre-sens puisqu’il protège justement ces combustibles fossiles. C’est sa raison même d’existence à l’origine : garantir la sécurité d’approvisionnement en Europe en protégeant les énergies fossiles et nucléaire.
Près de 300 groupes issus de la société civile et des syndicats viennent de publier une lettre ouverte invitant, je cite, « les gouvernements et les parlements des pays signataires du TCE à veiller à ce que le TCE ne puisse plus compromettre les actions visant à éviter la dégradation du climat, protéger l’environnement et rendre l’énergie abordable pour tous. Elle appelle également à l’arrêt immédiat de l’expansion géographique du TCE à un plus grand nombre d’États signataires dans le Sud global. »
Comme une amorce, le 15 juillet dernier, le Conseil de l’Union européenne (UE) mandatait la Commission européenne pour entamer des négociations en vue de moderniser le TCE. Au même moment, le gouvernement belge en affaires courantes souscrivait pleinement à la proposition de mandat sans la moindre divergence entre Fédéral et Régions. Toujours suite à cette annonce, le ministre luxembourgeois de l’Énergie, M.Claude Turmes, annonçait quant à lui la volonté du gouvernement luxembourgeois de mettre à l’agenda du Conseil des ministres de l’Énergie du 24 septembre la construction d’une coalition de pays « climato-responsables ». La Belgique n’a visiblement pas rejoint cet appel !
Interpellé par le député régional Ecolo Olivier Bierin, le Ministre wallon du Climat, Philippe Henry, indiquait que « si la Région wallonne était bien décidée à promouvoir une position climato-responsable sur ce Traité, nous manquons d’informations complètes du Fédéral. Je vais donc demander un état des lieux du dossier et que les Régions soient pleinement associées au processus de négociation belge. »
Nous sommes le 12 décembre. Les négociations autour de ce Traité débutent. Toutes les parties doivent en accepter la modification, faute de quoi il subsistera tel quel… Côté belge, il conviendrait de se retirer. Oui mais voilà, une clause « sunset » maintient les effets du Traité durant 30 ans après sa dénonciation !
Dans ce contexte, quelle position adopte notre pays ? « La Belgique estime que lors du processus de modernisation, il ne faut pas s’écarter du champ d’application du Traité de la Charte de l’énergie, c’est-à-dire assurer la protection des investissements en veillant à ce qu’ils n’utilisent pas cet exercice de modernisation pour élargir ce champ. » De l’aveu même de la Ministre Marghem, cette phrase est complètement incohérente… En effet, si on n’écarte pas du champ d’application du Traité, on maintient la protection des énergies fossiles et nucléaire. Et la Ministre d’ajouter : « Comme vous le voyez, c’est une réponse qui émane particulièrement de milieux diplomatiques et que je vais devoir me faire expliquer plus précisément car, pour l’instant, celle-ci n’apporte pas de réponses avancées à vos questions qui sont, elles, très précises. Je le dis moi-même car je n’ai pas l’habitude de pratiquer la langue de bois. Je n’ai pas eu le temps de relire cette réponse qui comprend une phrase totalement incompréhensible. »
Quand je l’avais interrogée la première fois à ce sujet, la ministre Marghem m’avait avoué ne pas comprendre le texte qu’elle avait reçu des services diplomatiques. Près de deux mois plus tard, elle me répète la même chose. Cette fois, difficile de lui laisser le bénéfice du doute… Je crains très fort que la Belgique, et c’est pour le moins interpellant, n’ait aucune position stratégique quant à la fin des investissements dans les énergies fossiles et le nucléaire.
Il faut dire que la Belgique pourrait toujours être attaquée devant des tribunaux d’arbitrage par des investisseurs dans les énergies fossiles et nucléaire ! Comme l’admet le Ministre Henry au Parlement de Wallonie, « ce mécanisme de règlement des différends permet que des entreprises du secteur fossile puissent attaquer des pays qui veulent se dégager du nucléaire ou du charbon ou qui souhaitent maîtriser les prix énergétiques dans un souci de cohésion sociale. » Pis, certains Etats membres européens contournent même les impulsions climatiques européennes, ce qui est un souci en soi !
Ce 12 décembre s’ouvrent donc des négociations, préparées depuis 2018, sur ce Traité. Négociations que le Ministre Henry, par le biais de l’administration wallonne, entend suivre de près tout en défendant une position volontariste protégeant l’ensemble des engagements liés à l’Accord de Paris. J’attends la même position volontariste du gouvernement fédéral, qu’il rejoigne la coalition des pays « climato-responsables ». C’est pourquoi j’interpellerai à nouveau, une troisième fois s’il le faut, la Ministre à cet égard lors de la prochaine commission.
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