Maire de Téhéran à Bruxelles: amplifier la voix des victimes iraniennes

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Mon intervention en plénière (+ extrait vidéo) :

Madame la présidente, madame la ministre, je suis d’accord avec Mme Els Van Hoof. Il est vrai que, parfois, la diplomatie contraint à un exercice de funambule, mais, néanmoins, dans les limites de la décence.

Chers collègues, je dois vous avouer que je ne comprends pas comment l’un des pires faucons du régime des mollahs en Iran a pu se retrouver quasiment les mains dans les poches, tout sourire, sur le tapis rouge de l’hôtel de ville de Bruxelles, et ce pour deux raisons. La première a trait au timing. En effet, trois semaines se sont écoulées depuis la libération de notre compatriote Olivier Vandecasteele. De plus, en ce moment même, le professeur de la VUB, Ahmadreza Djalali, se trouve encore dans les couloirs de la mort en Iran. En avons-nous conscience?

La deuxième raison concerne l’horreur en cours. Nous ne devons pas oublier que le régime qui détenait Olivier Vandecasteele est celui qui réprime son peuple dans le sang depuis la mort de Mahsa Amini. Nous ne pouvons pas l’oublier. Comme élus démocratiques, nous avons l’obligation morale et politique de porter la voix de ce peuple iranien, de porter la voix de ces femmes qui crient dans la rue à Téhéran “Femme, vie, liberté”.

Aujourd’hui, madame la ministre, il convient de répondre à toutes les questions que se pose légitimement une grande partie de notre population. Je pense ici notamment à l’opposition iranienne en exil.

Madame la ministre, qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis et vous a amenée à finalement délivrer les visas dont question? Combien de visas ont-ils été délivrés? Je sais qu’un visa a été délivré au maire de Téhéran, mais c’est visiblement également le cas de ses sbires, de membres de son entourage, voire peut-être des agents du renseignement iranien. Par ailleurs, il y a la question des Russes. Je voudrais ici vous poser une question très transparente et très franche. D’autres casseroles sont-elles à déplorer?

Réponse de la Ministre :

“Chers collègues, tout d’abord merci pour vos questions. Rappelons toutefois, précision importante, que le secrétaire d’État Pascal Smet a en charge les Relations internationales pour la Région de Bruxelles-Capitale et que c’est à ce titre qu’il a invité une délégation iranienne de 14 personnes parmi lesquelles, effectivement, le maire de Téhéran à participer au 14e Metropolis World Summit organisé à Bruxelles jusqu’à aujourd’hui.

Dès le mois de mars, mon administration a souligné qu’une telle visite de représentants officiels de la ville de Téhéran et par extension, du régime iranien n’était pas du tout opportune dans les circonstances actuelles. “Il serait recommandable” – je cite – “de ne pas inviter ces personnes de la ville de Téhéran”.

Je pense qu’on ne pouvait pas être plus clair.

En mai, toutefois, mes services sont informés par le secrétaire d’État que sept villes iraniennes sont malgré tout invitées. Sachez que c’était aussi le cas de villes russes. J’apprends d’ailleurs que deux représentants russes sont actuellement à Bruxelles, alors qu’ils n’ont reçu aucun visa de notre ambassade à Moscou, comme quoi monsieur Smet mène sa politique internationale avec ou sans nous.

Et oui, nous nous sommes renseignés, ces personnes ont reçu un visa d’autres États de l’espace Schengen. Mais reprenons le fil des événements. L’une des questions qui se pose est de savoir pourquoi monsieur Smet tenait-il tant à la participation de ces invités.

Le 10 mai, le secrétaire d’État m’informe qu’il a des obligations à remplir vis-à-vis de l’organisateur pour le rayonnement de la Région bruxelloise et qu’il est très important que toutes les villes y participent. Il me demande de ne pas bloquer ces invitations au risque de mettre en péril cet événement auquel il tient tant.

Le 16 mai, son cabinet écrit d’ailleurs au cabinet Asile et Migration et plaide pour une certaine flexibilité concernant les invitations des Iraniens et des Russes. Ensuite, notre ambassadeur à Téhéran a reçu une lettre du secrétaire d’État Smet, adressée à l’ambassade de Belgique et sa section consulaire lui demandant de bien vouloir faciliter les procédures et délivrer les visas requis aux personnes qui en font la demande.

Le 8 juin, dans un dernier échange entre mon cabinet et le secrétaire d’État Smet, mon cabinet demande si le secrétaire d’État souhaite toujours bien la venue de cette délégation iranienne.

Het antwoord was bevestigend. Ik citeer: ‘Wij bevestigen dat de volledige delegatie uit Teheran (…) bij ons geregistreerd is en een visum mag ontvangen.”

De burgemeester van Teheran heeft dus een uitnodiging per brief ontvangen. Deze brief begon met “Honourable Mayor Zakani, it’s our great honour to invite you (…)”.

Mes services ont dès lors effectué, face à cette insistance, les vérifications techniques qui s’imposaient avant la délivrance des visas, notamment auprès de la Sûreté de l’État. Mes services ont également pris contact avec l’Office des étrangers à qui le cabinet Smet a également souligné l’importance de la présence d’une délégation de la ville de Téhéran, qui joue un rôle actif dans Metropolis.

Mes services ont aussi préalablement pris soin de vérifier si ces personnes, madame Rohonyi, n’étaient pas frappées d’interdictions de voyage ou de sanctions internationales dans le cadre des régimes que nous avons pris contre les autorités iraniennes. La réponse est non, ils ne sont pas frappés d’interdiction.

Enfin, nous avons reçu le 9 juin l’avis de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM) concernant l’évaluation de la menace liée à la participation du maire de Téhéran au Metropolitan World Summit à Bruxelles, qui l’a évaluée comme très faible. Une fois ces vérifications faites, des visas à territorialité limitée ont été délivrés, c’est-à-dire que ces visas permettent uniquement une entrée pour la durée de l’événement.

Les entités fédérées nous rappellent souvent l’importance de leurs compétences internationales et du fédéralisme de coopération. Ces compétences doivent, me semble-t-il, s’accompagner d’un sens des responsabilités et d’une certaine maturité. Entendre aujourd’hui le secrétaire d’État Smet se justifier en disant qu’il n’a pas adressé la parole aux membres de cette délégation et qu’il ne souhaitait pas vraiment leur venue est un manque manifeste de responsabilités et de courage aussi, parce qu’il était là, posant à côté de lui à l’hôtel de ville de Bruxelles.

J’aurais préféré entendre le secrétaire d’État Smet dénoncer la répression des manifestations à Téhéran, aborder avec le maire de Téhéran le respect des droits humains, des droits des femmes en particulier, les libertés fondamentales, comme je l’ai fait moi-même à maintes reprises avec le ministre des Affaires étrangères iranien. Alors, cette invitation aurait peut-être eu du sens, un autre sens que celui de créer de la polémique et de salir l’image de notre capitale par celui-là même qui est censé veiller à son rayonnement international.

Réplique :

Madame la ministre, chers collègues, j’ai l’impression d’halluciner. À un moment donné, on ne va pas inviter le président d’Ouganda, Museveni, à la Gay Pride de Bruxelles. On ne va pas inviter Vladimir Poutine pour le prix Nobel de la paix. Non, monsieur Smet, non, je ne comprends pas comment on peut inviter le maire de Téhéran dans ces conditions, trois semaines après la libération d’Olivier Vandecasteele! Madame la ministre, je dois aussi être honnête. Je ne comprends pas pourquoi, dans de telles conditions, vous n’avez pas résisté aux pressions du secrétaire d’État. Je ne le comprends pas.

Je demande à la présidente de la commission des Relations extérieures et à la présidente de la Chambre de pouvoir organiser au plus vite une commission des Relations extérieures pour faire le suivi de ce qu’il s’est passé. Quatorze personnes! Une délégation iranienne de quatorze personnes en Belgique en toute impunité, alors qu’on sait ce qu’il se passe dans les rues de Téhéran! Pour nous, ce n’est pas acceptable. Nous ne l’acceptons pas et nous demanderons de plus grandes précisions très prochainement en commission.