Notre demande de reconnaître l’écocide comme crime international a été adoptée par 96 votes contre 39. Une première dont la Belgique peut être fière ! Mon discours en plénière :
Madame la Présidente,
Chers collègues,
Je ne vous cache pas que c’est un moment émouvant pour moi.
Il y a 2 ans, j’ai commencé à travailler sur ce texte, sur cette proposition de résolution qui vise la reconnaissance d’un tout nouveau crime d’écocide tant aux niveaux national qu’international.
Et je me souviens encore que j’avais demandé à la bibliothèque de la Chambre de m’aider en récoltant toutes les questions parlementaires et textes introduits sur le concept d’écocide. La bibliothèque m’a répondu qu’il n’y avait rien. Le concept était simplement inconnu au bataillon.
En matière pénale et en droit international, il y a une lacune, un vide juridique qui subsiste, notamment pour les atteintes les plus graves à l’environnement en temps de paix.
Le droit pénal nous protège aujourd’hui contre le vol, contre le trafic de stupéfiant, contre la corruption, contre le blanchiment d’argent, contre la fraude, mais pas contre les crimes les plus graves commis contre notre planète ! C’est en effet la branche du droit qui sanctionne les comportements contraires à l’intérêt général. Par conséquent, le droit pénal a parfaitement vocation à accueillir l’écocide, qui est à la fois une menace environnementale, sanitaire, économique, humanitaire particulièrement grave puisqu’elle nous touche toutes et tous. Il est urgent que le droit pénal se porte au secours de la planète.
Il y a urgence à combler cette lacune !
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En juin 2021, une étape cruciale est franchie en vue de la reconnaissance internationale de l’écocide : un panel d’experts en droit international réuni par la Fondation Stop Ecocide et coprésidé par Philippe Sands, publie une définition juridiquede l’écocide comme 5e crime international à la CPI .
Un panel d’experts entend par crime d’écocide les « actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables. »
Un écocide est donc un dommage environnemental :
- grave (« causant des atteintes hautement préjudiciables à l’une quelconque des composantes de l’environnement »),
ET
- étendu (« dommages qui s’étendent au-delà d’une zone géographique limitée, qu’ils traversent des frontières nationales, ou qu’ils touchent un écosystème entier ou une espèce entière »),
ou
- durable (« dommages irréversibles ou qui ne peuvent être corrigés par régénération naturelle dans un délai raisonnable »).
L’écocide ne vise donc pas le passant qui jette une cigarette par terre !
Attention, l’écocide ne vise pas non plus de simples « accidents ». Conformément aux principes généraux du droit pénal belge, il convient de souligner l’élément moral du crime : l’auteur de l’écocide doit avoir connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables (principe de la connaissance reconnu à l’article 30 du Statut de Rome).
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Mais alors, quelle est cette révolution culturelle et juridique ? Nous quittons l’approche antrophocentrique où tout est exclusivement rattaché à l’homme, où il faut à tout prix prouver un dommage pour l’homme avant de pouvoir parler de délit ou de crime. Nous proposons une approche écologique, systémique, qui réfléchit le monde en lien avec les forêts, les réserves d’eau, le climat, les terres, les océans.
Un des premiers livres à oser poser la question des droits de la nature est l’oeuvre de Christopher Stone, professeur de droit américain,date de 1972. Professeur Stone est décédé à l’âge de 83 ans il y a à peine quelques mois, en mai dernier… Professeur Stone écrit son livre dans un contexte particulier : un projet de station de ski de la Walt Disney Company menace une forêt de séquoias en Californie. Une association de protection de la nature tente de s’y opposer en justice, et la Cour d’appel de Californe rejette cette plainte au motif qu’elle n’a subi aucun préjudice personnel. Stone propose alors dans un article pionnier d’accorder des droits aux arbres et « à l’environnement naturel dans son ensemble ». Il nous fait prendre conscience de la valeur intrinsèque de la nature. L’originalité de sa position tient à son caractère juridique : en conférant aux entités naturelles le droit, dans certaines situations, de se défendre en justice par l’intermédiaire de représentants, il ouvrait la voie au primat de leur préservation sur le pur calcul économique.
=> Et ça peut faire polémique encore aujourd’hui, mais la question vaut d’être posée : pourquoi une entreprise privée dotée de 5€ de capital aurait-elle plus de drotis qu’un fleuve comme l’Escaut face à une pollution de masse ?
– Et je comprends ceux qui disent aujourd’hui : ce sera impossible, impraticable, reconnaître le crime d’écocide rendra le crime de génocide moins grave, etc. On disait la même chose à Lauterpacht et Lemkin en 1945.
C’est vrai que ce serait la première fois depuis 1945 que de nouveaux crimes de droit international seraient formellement reconnus.
Mais comme disait Françoise Tulkens, ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme : « tuer la maison, ce n’est pas rien non plus ! ».
– Je comprends aussi ceux qui disent que la reconnaissance du crime d’écocide n’empêchera pas concrètement les écocides de se produire. C’est vrai ! Le crime de meurtre existe depuis des années dans notre Code pénal. Ce n’est pas pour autant qu’il n’existe plus.
C’est quoi la plus-value, alors, me direz-vous ?
Elle est double !
1) Évidemment il y a une dimension symbolique. Même morale. Et je l’assume complètement. C’est vrai, c’est un tournant. La nouvelle incrimination reconnaît enfin que la nature peut faire l’objet de crimes graves, comme l’humanité peut être victime de crimes de guerre ou de génocide. Ça peut faire changer les mentalités.
2) Mais l’écocide doit être plus qu’un slogan ou buzzword. Il ne peut pas rester lettre morte. Le crime d’écocide doit avoir une portée instrumentale dans la lutte contre la destruction des écosystèmes et de la biodiversité. Ce nouveau crime doit contribuer à dissuader mais aussi réparer les dommages les plus graves à la planète. Concrètement, ça peut devenir un nouvel outil juridique !
La Marée noire de l’Erika, c’est 20 000 tonnes de fioul qui ont souillé toute la Bretagne, tué 150 000 oiseaux, à cause d’une multinationale qui voulait faire des économies sur son pétrolier. L’amende s’élevait à seulement 375.000€, ce qui est ridicule en comparaison au chiffre d’affaires de Total qui dépasse les 140 milliards $.
L’écocide doit être reconnu pour mettre fin à l’impunité des plus gros pollueurs.
Nous devons préserver l’habitabilité sur Terre, et ce de manière contraignante. Nous devons dire : « Désolé, mais si vous déversez des déchets radioactifs en mer, comme c’est le cas actuellement en Arctique, sur vous déversez vos produits toxiques miniers comme c’est le cas au Brésil, vous serez puni, une grave responsabilité pénale vous en empêche ! Quand vous êtes auteur d’une marée noire car vous vouliez économiser sur un simple coque, ou quand vous lésinez sur la sûreté nucléaire et qu’à cause de vous se produit une catastrophe radiologique, le juge doit pouvoir vous sanctionner ! »
Il faut dissuader les actes prédateurs !
Madame la Présidente,
Chers collègues,
Notre « petite » Belgique peut être fière d’être pionnière en la matière, tant au niveau national qu’international. Nous sommes la première assemblée parlementaire d’un pays membre de l’UE à demander à notre gouvernement :
– de reconnaître l’écocide dans le Code pénal
– d’amender le Statut de Rome
– et même de lancer un nouveau traité international des plus volontaires !
Notre gouvernement a agi en un an comme aucun autre ! Le Ministre de la Justice Van Quickenborne a lancé un groupe d’experts pour baliser la définition du crime d’écocide, la Ministre des Affaires étrangères, Sophie Wilmès, était la première en Europe à évoquer la question à la Cour pénale internationale.
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Mais il faut rendre à César ce qui appartient à César. Rien n’aurait été possible sans la mobilisation exceptionnelle de la société civile !
– Valérie Cabanes !
– Marie Toussaint !
– L’ONG Stop Ecocide de l’avocate britannique Polly Higgins… Jojo Mehta.
– Sans oublier : End Ecocide Belgium. Ces chevilles ouvrières des temps présents pour les générations futures, ce sont ces mamans, ces grands-parents, ces jeunes pour le climat qui sont aujourd’hui dans la tribune pour assister à ce vote important ! Et je veux les remercier du fond du coeur.
Votre engagement me donne et me fait garder l’espoir que nous pouvons ici et maintenant construire au Parlement un monde meilleur pour demain.
Je vous remercie.