Visite nucléaire “sous haute sécurité” à Bure : d’un laboratoire souterrain aux acteurs-trices de terrain

Direction Bure, à quelques heures de la Belgique. C’est là que la France voudrait enfouir 85 000 m³ de déchets hautement radioactifs. J’ai exceptionnellement pu pénétrer dans le stockage souterrain, à 500 mètres sous terre. La visite à la fois dans les galeries et au contact des locaux m’a profondément marqué. Récit.

Bure, petit village de 84 habitants situé aux confins de la Lorraine, dont le décor et le quotidien ont été chamboulés par la construction d’un centre par l’ANDRA, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. D’ici quelques décennies, ce centre pourrait accueillir quelque 85.000 m³ de déchets nucléaires français les plus hautement radioactifs et à très longue durée de vie – on parle de plus de 100.000 ans !

J’ai eu l’occasion de visiter ce centre, mieux connu sous le nom de “projet Cigéo”, de descendre à 500 mètres de profondeur, et de découvrir une partie des interminables galeries (d’une surface équivalente à sept fois le métro bruxellois!) qui composent le laboratoire souterrain de l’ANDRA.

Je suis sorti de ce laboratoire avec davantage de questions que de réponses. Ce qui m’inquiète essentiellement, à travers l’irréversibilité des déchets passé une centaine d’année, c’est cet héritage empoisonné que nous livrons aux générations futures. Cela me pose éthiquement question.

Après la visite, je me suis rendu à la rencontre de locaux : des jeunes vivant au lieu-dit “La Maison de la Résistance”, des riverain.e.s et un agriculteur local, Jean-Pierre Simon.

Jean-Pierre fait partie de ceux qui militent et s’opposent à la construction du projet Cigéo, qui sans même avoir déjà concrètement commencé a déjà un impact fort sur le territoire.

Pour se faire une idée plus précise, Jean-Pierre m’a emmené découvrir les territoires alentours. “Il faut savoir qu’il y a à peu près 300 ou 400 hectares qui appartiennent complètement à l’ANDRA. Les fouilles archéologiques ont été faites, et ces terres sont prêtes à être défoncées par les bulldozers pour construire des installations de surface.”

Le constat de Jean-Pierre est clair : la population diminue, les exploitations agricoles ne sont pas renouvelées et il n’y aura bientôt d’exploitants sur le territoire. “On se dirige donc vers la création d’un désert.”

Alors qu’il n’y a pas encore de déchets radioactifs à garder sur le site, je suis surpris par la militarisation de la zone. Un escadron de 80 gendarmes (soit presqu’autant que la population de Bure, qui s’élève à… 84 habitants) patrouille sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Nous avons d’ailleurs été contrôlés sur un chemin de campagne, au milieu de nulle part. Avant d’être survolés par un hélicoptère de la gendarmerie. Hallucinant pour moi. Psychologiquement usant pour Jean-Pierre comme pour les habitants, qui le vivent quotidiennement. “Tous mes faits et gestes sont suivis, enregistrés et ce, depuis plus de deux ans, deux ans et demi. On s’habitue à vivre avec, ce n’est pas facile. Ça peut devenir usant psychologiquement quand on veut vivre normalement, c’est-à-dire recevoir des gens, se déplacer… des activités basiques de citoyens.”

C’est dans cette atmosphère particulière que Jean-Pierre continue encore et toujours à résister aux pressions de l’ANDRA, qui aspire à racheter ses terres. Pour lui, enfant du pays, il n’en est pas question. Je sors de cette rencontre profondément marqué par l’engagement enraciné, au propre comme au figuré, d’un homme dont le combat force le respect.

À l’instar de celui d’Emilie Cariou, députée de la Meuse, que je rencontre à Verdun. La Meuse est donc le territoire ayant accueilli le projet Cigéo. Elle travaille (et est une des seules) depuis le début de son mandat sur le dossier du nucléaire, de la sûreté nucléaire et, plus spécialement , sur le sujet des déchets nucléaires.

Pour Emilie Cariou, “le problème, c’est que la loi prévoyait de faire de la recherche sur trois types de solutions et qu’à ce stade, seule la voie de l’enfouissement en couche géologique profonde a été expertisée. Pour moi, c’est la principale faille de ce projet aujourd’hui : comme on n’a pas de comparable, on n’a aucun autre site à comparer en termes de coûts et de sûreté nucléaire, on ne peut pas se prononcer de manière objective.”

Elle énumère aussi les dangers liés à ce projet : ” Il y a plusieurs dangers en termes de tenue d’un site souterrain puisque c’est la première fois qu’on fait quelque chose de la sorte. On a pu voir que sur d’autres sites d’enfouissement de déchets, de matières non radioactives, une fois que c’est en sous-sol, c’est extrêmement difficile de sortir les déchets. On peut avoir des risques en termes de fuites, de pollution de nappes phréatiques… Des fuites qui peuvent émerger des fûts, il y a eu des cas aux États-Unis. Alors peut-on assurer sur du très très long terme une absence totale de fuites, je ne sais pas. Surtout, ce qui a été relevé par l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire), ce sont notamment des risques d’incendies.”

Au moment de nous saluer, elle me concède qu’il y a peu de députés réellement engagés sur les sujets écologiques. “Moi qui viens de la majorité et qui reste dans une sphère assez centriste, je suis la seule.”