Cher Damien,
Nous avons déjà échangé à quelques reprises sur la sortie du nucléaire, et encore ce dimanche dernier autour d’un café. Comme tu le sais, je n’ai en réalité rien du “militant anti-nucléaire dogmatique” que tu dépeins dans ton message, à traits un peu vifs. Je suis un élu écologiste. Oui, j’habite à côté de Tihange et je suis très conscient des enjeux d’emplois, de recettes pour ma ville, de transition dans mon arrondissement, de démantèlement et de gestion des déchets radioactifs. Qu’on le veuille ou non, qu’on soit pour ou contre le nucléaire, c’est là un héritage que nous allons dorénavant devoir gérer ensemble, sur plusieurs centaines de milliers d’années (je parle des déchets).
Je dois t’admettre que je ne partage pas ta croyance dans l’intérêt que présente un débat mené sur un ton aussi rêche, surtout s’il s’ouvre sur des allégations de « fake news ». Tu sais, en effet, à quel point je suis un parlementaire investi dans mon mandat et je suis fier de baser mes arguments sur des données objectives. Je lis et me base uniquement sur des études chiffrées, livrées par Climact, la CREG, le Bureau du Plan, Elia et voire même (plus récemment) EnergyVille. Tous ces rapports prouvent aujourd’hui que la sortie du nucléaire en 2025 est possible, à condition que la volonté politique soit là pour préparer la transition.
Permets-moi donc, dans un esprit d’échange plus constructif, de répondre, point par point, à tes trois objections ci-dessous:
– D’abord, sur les 420 TWh de consommation d’énergie finale au niveau belge, tu as évidemment raison: ce chiffre est correct, il concerne la globalité de la consommation finale d’énergie (au sens le plus large du terme, donc pas juste l’électricité). Mais attention, comme on le voit sur ces figures ci-dessous, l’électricité ne représente que 19% de ces 420 TWh ! ET sur ces 80 TWh d’électricité, le nucléaire ne représente en fait que … 34% ! Dès lors, permets-moi de très sincèrement (et arithmétiquement) douter que la prolongation de seulement 2 réacteurs nucléaires sur 10 ans puisse répondre à ta question plus fondamentale de … 200 TWh. De nouveau, ce simple rappel d’ordre de grandeur très différent me permet d’affirmer que la transition énergétique ne doit pas se limiter qu’au nucléaire. Le nucléaire n’est qu’une pièce du puzzle.
Mais quittons ces notions d’énergie et d’électricité, que tu dois certainement connaître, pour en revenir aux chiffres que tu suggères. Tu dis qu’avec des mesures d’efficacité énergétique, nous arriverions à diminuer notre consommation pour atteindre 280TWh. Cette estimation provient d’un scénario central de l’étude de Climact et de Vito qui « amène à activer tous les leviers sans les pousser à leur maximum ». Toujours selon cette même étude, mais avec un peu plus d’ambition cette fois, nous pourrions atteindre une demande d’énergie finale de 204TWh par an.
Assez parlé de consommation, nous tenons aussi à répondre aux interpellations sur la production mais cette fois-ci, assurons-nous de dissocier énergie et électricité. 80TWh, c’est bien le potentiel de production électrique tel que calculé par Climact et Vito (en page 102 de ce rapport).
Qui plus est, ce chiffre est au rabais puisqu’il suppose une capacité installée de 6,6GW d’éolien onshore, 4,9GW d’éolien offshore et 11,2GW de photovoltaïque alors que le potentiel technique réel est, respectivement, de 13GW, 6GW et 50GW (Climact et Vito, page 41 et WindVision – our energy future page 72). Toujours selon cette même étude, le potentiel de production en énergie, quant à lui, varie entre 188 et 225TWh/an. Voilà qui répond donc aux inquiétudes que tu partages.
– Ensuite, fondamentalement, la sortie du nucléaire n’est pas un “trophée des écologistes”, ni une fin en soi. C’est simplement un fait que désormais plus grand monde ne doute de la fermeture de Doel 1, Doel 2, Doel 3, Tihange 1 (allez, sur T1, j’ai déjà entendu d’autres avis) et Tihange 2. Ce postulat de base est important pour dédramatiser les tensions (sur l’emploi, sur la sécurité d’approvisionnement, sur l’impact sur la facture des ménages et des entreprises). Personne ne prétend qu’on peut prolonger tous les réacteurs de Doel et Tihange pour 30, 40 ou 50 ans. La seule prolongation dont j’entends parler couvre 10 voire 20 ans pour Tihange 3 et Doel 4. Au final, on ne parle que de 2 réacteurs, pas plus! Et donc, désolé Damien, mais dans ces conditions, ce n’est pas Ecolo mais Elia qui affirme que oui, il faudra bel et bien des centrales au gaz pour garantir la sécurité approvisionnement énergétique dans notre pays. Surtout qu’à l’heure où nous échangeons, 3 des 7 réacteurs nucléaires belges sont à l’arrêt. Pour le coup, il ne s’agit pas d’idéologie, mais d’un fait. Moi aussi, je ne demande rien de mieux que de me passer du gaz. Je serais ravi d’en limiter l’usage autant que possible. Et nos ministres travaillent d’arrache-pied pour limiter ce besoin en investissant dans les économies d’énergie ainsi que dans le développement des énergies renouvelables.
– Enfin, sur le CO2. À nouveau, je ne suis pas fan du mécanisme dit d’ETS (Emission Trading System). La vérité n’en reste pas moins qu’au sein de l’Union européenne, les émissions de CO2 issues du secteur de production d’électricité sont, comme tu le sais, comptabilisées dans un pot commun. Ce pot commun, c’est un pot fermé. Si de nouvelles centrales performantes arrivent sur le marché (comme ce sera le cas en Belgique), d’autres sortiront de ce pot commun. Les centrales construites en Belgique seront de nouvelles centrales, hyper-performantes. Et donc dans le cadre de l’ETS, ces nouvelles centrales belges auront l’avantage de forcer la sortie (hors du merit order) des plus vieilles centrales au charbon en Allemagne, en Pologne, aux Pays-Bas, beaucoup moins efficientes. A terme, ces centrales au gaz belges pourront même fonctionner au biométhane, notamment issu des déchets ménagers. Quand tu parles de l’exception des petites unités de cogénération, ces dernières fonctionnent principalement au biogaz et c’est donc aussi très positif (puisque le biogaz est alors produit dans de petites unités locales, à base de résidus agricoles par exemple). Mais la quantité de la production d’électricité à partir de ces petites unités reste limitée.
Pour moi, l’enjeu du climat et de la transition énergétique est trop important que pour nous diviser en chamailleries tissées de clichés et d’invectives (“usine à fake news“, “argumentation fabriquée, grossière, insidieuse“, etc.; tes mots ne font pas honneur au sérieux de tes recherches et, à titre personnel, je ne me permettrais pas d’user de mêmes termes à ton égard). La sortie du nucléaire n’est pas une fin en soi, c’est une opportunité de changer de système d’approvisionnement énergétique et de booster les énergies renouvelables par la même occasion. Et dans cet enjeu de la transition énergétique, auquel je sais que tu crois aussi (et j’admire ton engagement dans d’autres projets de recherche qui la font advenir !), nous devons nous rassembler. C’est l’appel que je t’adresse, en toute humilité, comme élu, car nous avons besoin d’ingénieurs et de techniciens de ta stature pour construire le monde de demain (qui devra être plus vert, plus renouvelable, plus flexible).
Au plaisir de partager une pizza ensemble pour débattre ensemble et renouer des liens !
Samuel
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