12 novembre. Après trois semaines de violentes manifestations et de grève générale, le président bolivien Evo Morales – l’icône des mouvements indigènes au pouvoir depuis 2006 – est contraint de fuir son pays. Cette fois, il cède face à l’armée et à la police qui lui ont retiré leur soutien.
Article coécrit avec mes collègues Simon Moutquin (Chambre des représentants) et Saskia Bricmont (Parlement européen).
L’intervention de l’armée et de la police bolivienne pour déchoir un président élu devrait tous nous consterner. Une sénatrice qui se proclame présidente par intérim devant un parlement n’atteignant pas le quorum ne peut être reconnue comme légitime. Oui, il s’agit bien d’une démission forcée par un général. Ce n’est pas aduler une idole ou fermer les yeux sur les ombres de son mandat que d’affirmer que l’exil d’Evo Morales est le fruit d’un coup d’État.
Il serait d’ailleurs erroné de nier les avancées massives dans la reconnaissance des droits des indigènes à s’autogouverner et les politiques sociales de lutte contre la pauvreté (augmentation des pensions, des budgets santé, lois anti-racisme et anti-discriminations) après les politiques néolibérales néfastes des années 90 et 2000. La Bolivie d’Evo Morales a ainsi reconnu l’accès à l’eau potable comme droit humain et bien commun face aux tentatives de privatisations de la Banque mondiale. Le mouvement politique de Morales a permis la représentativité de classes populaires qui n’avaient jamais eu accès aux prises de décisions politiques.
Toutefois, il n’y pas de naïveté dans notre chef. Morales a aussi commis de nombreuses erreurs. Celles de s’accrocher au pouvoir et de s’écarter de la gouvernance démocratique, par exemple. Son régime prolongé était loin d’être rose, tel que l’a démontré ces derniers mois l’effritement de sa base sociale. La passivité de son gouvernement face aux violences conjugales, le peu de place des femmes dans les traditions patriarcales, les menaces grandissantes contre les défenseurs des droits humains, condamnées par les organisations comme Amnesty International, la tentative de référendum constitutionnel pour se maintenir au pouvoir. Morales s’éloignait de plus en plus, ces derniers temps, des promesses démocratiques de ses premières années, comme l’ont souligné de nombreux observateurs politiques, que l’on ne peut suspecter d’appartenir au camp conservateur.
Nous appelons, comme parlementaires écologistes, la Belgique et l’Europe à garantir les droits démocratiques des Boliviennes et Boliviens à un Etat plurinational et à l’autodétermination des communautés indigènes.
Mais quoi qu’il en soit de notre diagnostic sur la politique bolivienne sous Morales, une chose est sûre : nous ne pouvons rester les bras croisés en Europe face aux événements de ces dernières semaines. L’Europe et la Belgique ne peuvent en aucun cas soutenir ce coup d’État, ni reconnaître la légitimité du gouvernement dont il est issu. Par ailleurs, nous appelons le Ministre des Affaires étrangères belge et la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères à condamner fermement les violences de ces derniers jours, notamment les attaques de police contre les manifestants.
Le passé nous rappelle que l’Amérique latine a déjà trop souffert de ces régimes autocratiques militaires soutenus et encouragés par des intérêts étrangers. Reconnaître un gouvernement auto-proclamé en prétextant les imperfections du précédent revient à nier les fondements mêmes de nos démocratie.
Plutôt que d’être complices, ne serait-ce que silencieux, d’une répétition des graves scènes de violences du passé et de soutenir le retour de putschistes réactionnaires, nous appelons, comme parlementaires écologistes, la Belgique et l’Europe à garantir les droits démocratiques des Boliviennes et Boliviens à un Etat plurinational et à l’autodétermination des communautés indigènes. Cette Bolivie plurielle, plus juste,serait bel et bien menacée par le retour d’une vieille oligarchie au pouvoir. La démocratie participative et émancipatrice à l’origine du mouvement d’Evo Morales doit retrouver ses lettres de noblesse dans de nouvelles élections garantissant les acquis et la représentativité des communautés autochtones et des classes les plus marginalisées.
La Bolivie ne devrait pas être utilisée par certains à des fins géostratégiques, dans le but de proclamer une hégémonie politique, quelle qu’elle soit. La communauté internationale doit soutenir le processus de retour à la stabilité, notamment grâce à l’organisation d’élections souhaitées, de manière transparente et démocratique, par un soutien technique et financier, qui permettra aux Boliviennes et Boliviens d’exercer leur droit à l’autodétermination.