J’ai donc passé une semaine au Bahreïn.
Ma toute première expérience dans un pays du Golfe. Pas vraiment « voulue », je dois bien l’avouer. Les Assemblées de l’UIP ont lieu chaque année, dans un pays différent, sur un continent différent, et chaque parlement – y compris la Belgique – se doit d’y être représenté.
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Mais même si je n’ai pas choisi cette destination, j’en reviens éclairé sur les tensions du Moyen-Orient. En effet, le royaume du Bahreïn a deux spécificités :
- Le Bahreïn compte une population majoritairement chiite (comme en Iran), mais il est gouverné (d’une main de fer) par la dynastie royale des Khalifa d’obédience sunnite (comme en Arabie saoudite).
- Le Bahreïn est l’un des premiers États du golfe à exploiter des hydrocarbures dès 1932, mais aujourd’hui dans des proportions bien moindres que ses voisins (10 x moins qu’aux Émirats arabes unis, par exemple). Ce qui en fait un pays avec une économie beaucoup plus diversifiée (car affectée par l’épuisement de ses réserves de pétrole), et une société plus cultivée, moins bling-bling qu’à Dubaï, où les femmes sont heureusement plus émancipées qu’en Arabie saoudite. Ce qui explique aussi le terreau fertile pour des contestations sociales (c’est mon interprétation).
Mon programme sur place laissait malheureusement très peu de place pour la découverte (départ à 7h30 et retour en soirée). Donc c’est “facile” de passer à côté des réalités du pays. Surtout que nous avons été accueillis en grandes pompes. J’ai même pu me joindre avec notre Présidente belge du Sénat à un dîner chez le Roi Hamad, avec le Prince héritier et toute sa cour (une expérience sans précédent dans ma vie).
Bref, j’aurais pu en rester à ces premières impressions de palais oriental, longues réunions climatisées, et d’ode à la Formule 1.
Mais en marge du programme officiel et des grandes façades, il me tenait à cœur de sortir des sentiers battus et de rencontrer la société civile – que je savais opprimée. Rien qu’au Comité des droits de l’homme des parlementaires que je préside, il y a deux cas graves de tortures, détention arbitraire et déchéance de nationalité de parlementaires bahreïnis. Impossible de les ignorer ! Rien qu’en discutant avec les taximen du Bangladesh ou du Pakistan qui travaillent 7 jours sur 7 et logent à plusieurs dans une chambre du patron, on se dit bien que tout ne tourne pas rond.
À peine l’Assemblée terminée, j’ai donc voulu rencontrer une figure de proue de l’opposition : Ebrahim Sharif. Ebrahim fut l’un des leaders du « Printemps arabe » de 2011. J’ai rarement croisé quelqu’un d’aussi brillant, courageux, humble et « libre » à la fois. Tout jeune, il a pu étudier aux USA, mais il en est vite déporté à cause de ses vues marxistes révolutionaires. De retour au Bahreïn, il est banquier et gagne bien sa vie, mais il arrête sa carrière pour se consacrer aux autres dans un parti d’opposition. Bien qu’il soit lui-même issu d’une famille sunnite, il combat les discriminations contre les Chiites. Coûte que coûte, alors qu’il a 65 ans et qu’il a déjà été arrêté, privé de sommeil, abusé sexuellement, torturé, détenu durant 5 ans et demi (dont 8 mois dans une prison militaire), il milite pour une société plus démocratique. Face aux violences du régime, il ne cesse de prôner le pacifisme. En fait, rien que le fait qu’il accepte de me parler en dit long sur son hardiesse. Ce genre de monsieur force le respect.
Durant toute une soirée, Ebrahim m’a montré les quartiers chiites que les tours touristiques ne montrent pas. Dans ces villages plus modestes (que le centre de la capitale), j’y ai vu tous les graffitis politiques effacés sur les murs, la police en nombre à chaque carrefour, et la symbolique « place de la Perle » (aujourd’hui détruite). C’est là que la révolution avait débuté en 2011, mais vite réprimée dans le sang (plusieurs centaines de morts)… Un soulèvement unique dans le Golfe, notamment grâce aux femmes, directement inspiré de la Révolution du Jasmin en Tunisie et la Place Tahrir en Egypte. Grâce à Ebrahim, j’ai compris comment la majorité chiite était ici tenue à l’écart des lieux du pouvoir (principalement l’armée, premier employeur du pays). Les tensions avec l’Iran sont instrumentalisées afin de justifier la répression sanglante des aspirations démocratiques des citoyens chiites. Et avec l’influence de l’Arabie saoudite juste à côté (reliée par un pont de 25 km), ça passe crème. Mais attention, Ebrahim insiste : « ce n’est pas pour la religion qu’on se bat; c’est une question de droits humains et politiques ! Ce sont les dictatures qui utilisent les religions en vue de diviser les peuples. »
Jamais je n’accepterai que les grandes assemblées internationales, même de l’UIP dont je suis membre, fassent de l’ombre aux abus que subissent les populations locales. Au contraire, je considère que mon rôle d’élu en Belgique est justement de faire la lumière et de soutenir les aspirations démocratiques des peuples – quels que soient leurs religions ou origines. Puis, pour un écologiste, c’est pertinent d’observer le déclin d’une pétro-monarchie. Voilà pourquoi je voulais aussi évoquer ces discriminations. Parce que le respect des droits humains n’est pas à géométrie variable.