Cette semaine, dans le prolongement de l’accord de commerce et de coopération trouvé entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, j’ai interpellé le Premier ministre, Alexander De Croo, dans l’optique de porter une attention toute particulière afin d’écarter les dangers de dumping fiscal, social et environnemental. Découvrez le texte de mon intervention.
Monsieur le Premier Ministre,
C’est avec soulagement que nous avons accueilli, la semaine passée, l’aboutissement des négociations du projet d’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni. Nous avons évité la situation de chaos qu’aurait généré un Brexit « dur », sans accord, et nous nous en réjouissons. Et nous vous remercions de tout coeur d’être déjà ici présent au Parlement pour présenter l’accord.
Plusieurs points de l’accord nous semblent positifs.
- Le texte prévoit la protection des droits humains dans la coopération en matière de sécurité, et il se réfère explicitement à la convention européenne des droits de l’homme et aux normes européennes de protection des données. C’est important. Les droits humains forment le socle commun sur lequel s’est construit l’UE, il aurait été grave de les enterrer avec le Brexit.
- Deux, un arrangement a été trouvé, ensuite, en ce qui concerne la pêche. Car on sait combien la question est importante pour la Belgique, alors que 80 % des 15 000 tonnes de poissons qui sont vendues chaque année dans les deux plus grosses criées de Belgique, à Ostende et Zeebruges, proviennent de la zone de pêche britannique.
- En termes de lutte contre le changement climatique, l’accord est bien plus substantiel que les précédents : il consacre aussi des engagements sur la réduction des émissions, y compris celles de l’aviation, ce que nous saluons.
Mais ce soulagement est amer. Le Brexit reste une défaite pour l’Union européenne. L’Europe a besoin de plus de liens, pas de plus de frontières :
– Il est regrettable que les citoyens européens n’aient plus automatiquement le droit de vivre et de travailler en Grande-Bretagne, et vice versa. Ils devront désormais suivre les règles d’immigration et faire face à d’autres formalités administratives, comme la reconnaissance de leurs qualifications.
– Par ailleurs, il est triste que de belles initiatives européennes comme le programme Erasmus prennent fin. Personnellement, j’ai pu aller étudier à Londres pour 500euros, et je déplore que les étudiants belges n’auront plus la possibilité d’y étudier à si faible coût.
– L’accord signifie aussi que les règles de libre circulation des personnes ne s’appliqueront plus à destination et en provenance de l’Angleterre. Nous n’y voyagerons aussi facilement qu’avant. Nous serons probablement soumis à des contrôles de la police de l’air et des frontières. Et, si jusqu’au 1er octobre 2021, il sera toujours possible d’entrer sur le territoire britannique avec une carte d’identité ou un passeport en cours de validité, il faudra obligatoirement se munir d’un passeport par la suite.
Le Brexit aura aussi des conséquences pour les exilés qui cherchent à passer en Angleterre, car les politiques d’asile et d’immigration ne figurent pas dans l’accord, mais feront l’objet de futures négociations. La frontière britannique est située en France depuis les accords du Touquet signé en 2003. Avec le Brexit, ils ne sont plus valables. A Calais, on redoute que le dispositif de contrôle des frontières soit renforcé et que les personnes prennent de plus en plus de risques pour traverser. Or on sait combien ce passage est déjà extrêmement meurtrier. Par ailleurs, le Brexit implique la sortie du Royaume-Uni du Règlement de Dublin, un texte européen qui permettait aux exilés mineurs d’entrer sur le territoire britannique s’ils venaient rejoindre un membre de leur famille. Même les mineurs non accompagnés qui auraient des proches au Royaume-Uni n’auront d’autre choix que d’emprunter ces routes extrêmement périlleuses par bateau ou par camion. Il sera donc primordial de veiller à ce que les mesures post-Brexit qui seront prises et négociées protègent avant tout les droits humains, et visent à éviter les drames que nous avons connus jusqu’ici dans la Manche.
On sait encore que le Brexit pourrait générer des problèmes en Belgique. Au vu de l’impact économique de cette sortie de l’UE, cette dernière a prévu un mécanisme financier d’ajustement au Brexit de 5 milliards d’euros. Je vous avoue que c’est une question qui m’est soufflée par ma collègue sénatrice, Hélène Ryckmans, qui se demande comment ces moyens seront répartis entre régions, puisque, en termes économiques en 2019, la Wallonie exportait un peu plus de 3 milliards d’euros vers le Royaume-Uni et importe un peu plus de 1,04 milliard d’euros. Les entreprises devront donc s’adapter à cette nouvelle donne. C’est une question légitime.
Pouvez-vous nous dire, Monsieur le Premier Ministre, quelles sont les discussions qui sont menées au sein du Gouvernement fédéral et avec les entités fédérées sur la répartition entre les différentes entités du pays ?
Deux points, en particulier, méritent enfin notre attention. Le premier concerne la manière dont l’accord a été pris. Le Conseil a suggéré que l’accord soit applicable provisoirement (jusqu’au 28 février 2021), et ce avant d’être validé démocratiquement par les eurodéputés. Les partis européens et la Commission ont accepté cette mesure à condition qu’elle ne fasse pas jurisprudence. Il faut en effet bien veiller à s’assurer qu’elle reste exceptionnelle. Comme parlementaire, je me permets de le rappeler.
Le second point, et j’en finirai là, concerne les règles concernant l’évasion fiscale des entreprises, les paradis fiscaux et le blanchiment d’argent. Rien, dans le projet d’accord, ne semble empêcher le Royaume-Uni de se transformer en, ce que mon collègue Philippe Lamberts a appelé un « Singapour sur la Tamise », du moins en termes de fiscalité et de politiques de lutte contre le blanchiment d’argent.
C’est une vraie préoccupation : nous n’avons pas intérêt à se lancer dans une gueguerre entre pays voisins de concurrence déloyale ! Car les services financiers ne sont pas couverts par l’accord conclu fin décembre. La fiscalité est même explicitement exclue du mécanisme de résolution des différends.
Or, on ne va pas tourner autour du pot, la fiscalité, c’est souvent le nerf de la guerre.
Quels gardes-fous mettre en place entre l’évasion fiscale dans les Bermudes ou les îles Caïmans ? Si Londres décide demain de baisser drastiquement l’impôt des sociétés (Boris Johnson a parlé de « zones franches »), quelles réponses pourrions-nous mettre en place contre le dumping fiscal ?
Cela risque de poser des problèmes, et Monsieur le Premier ministre, je vous demande de porter une attention toute particulière pour vraiment écarte ce danger de dumping fiscal, social et environnemental.