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Mon interpellation au Ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne concernant l’opération “Silk Road” :
Monsieur le Ministre, ce mardi 28 mars, des perquisitions ont été lancées dans des sociétés logistiques et commerciales chinoises actives dans le fret international à Liege Airport et Zeebruges, dans le cadre d’une vaste enquête du parquet européen sur un système présumé de fraudes à la TVA, appelée opération “Silk Road”.
- Quels sont les acteurs chinois impliqués? La société Alibaba installée à Liège Airport est-elle impliquée dans cette enquête? Qu’est-il exactement reproché aux acteurs chinois impliqués?
- Quels bien importés sont concernés par l’opération Silk Road? Dans quels volumes? Des biens importés du Xinjiang sont-ils concernés?Quel est le mode opératoire des sociétés impliquées dans ces fraudes présumées?
- D’autres enquêtes sont-elles en cours judiciaires sont en cours en Belgique contre des acteurs chinois, dont Alibaba, Cosco ou encore Huawei?
- Des Belges sont-ils soupçonnés d’avoir servi d’intermédiaires ici? Et si oui, un Etat-tiers est-il soupçonné d’ingérence dans cette affaire, et si oui lequel? Quelle est l’identité des suspects? Font-ils partie d’organisations criminelles, si oui lesquelles? Les suspects sont-ils uniquement belges ou des personnes étrangères sont-elles également suspectées?
- Des mesures vont-elles être prises afin de réduire le risque que de telles fraudes se reproduisent à l’avenir? Si oui, lesquelles? Quel sera l’impact de l’opération Silk Road sur le filtrage des investissements chinois en Belgique, notamment à Liège et Zeebruge/Anvers, en ce compris dans le cadre du mécanisme européen de filtrage des investissements étrangers?
Réponse du Ministre :
“Monsieur Cogolati, l’enquête en cours est menée par le Parquet européen (European Public Prosecutor’s Office (EPPO)), sous la direction d’un juge belge. Je ne violerai donc pas le secret de l’instruction.
Toutefois, en concertation avec le procureur belge de l’EPPO à Luxembourg, je vous informe que l’EPPO a effectué, le 28 mars 2023, dix perquisitions dans plusieurs lieux en Belgique et a arrêté quatre suspects au cours d’une opération visant un réseau de fraudes douanières qui aurait causé un préjudice d’au moins 303 millions d’euros de taxes éludées.
Au cours de l’opération menée entre autres avec le soutien d’Europol et d’une équipe d’enquête multidisciplinaire (MOTEM) belge – un nouveau dispositif depuis cette législature et installé par ce gouvernement – des autorités douanières et de la TVA de Belgique ainsi que de plusieurs branches de la police belge, les agents ont perquisitionné des entrepôts et des bureaux aux aéroports de Zeebrugge et de Liège et les maisons privées des suspects à Ans, Liège et Visé, et ont saisi des preuves ainsi que des biens.
Dans le collimateur du Parquet européen se trouvent des exportateurs chinois soupçonnés d’avoir mis en place un système complexe pour échapper au paiement de la TVA sur des marchandises importées.
Selon l’enquête, les sociétés belges agissant en tant que représentantes fiables d’exportateurs chinois en matière de douanes et de TVA ont déclaré que les marchandises entrant par l’aéroport de Liège (matériel électronique, jouets et une myriade d’accessoires) étaient destinées à d’autres États membres afin de bénéficier de l’exonération de la TVA à l’importation sur la base de la procédure douanière 42.
La procédure douanière dite “CP42” est une procédure qui exempte les importateurs du paiement de la TVA dans les pays d’importation si les biens importés sont ensuite acheminés vers un État membre de l’Union européenne. Dans le cadre de cette procédure créée pour simplifier les échanges transfrontaliers, la TVA est exonérée dans le pays d’importation lorsque les biens sont acquis dans l’État membre de destination finale. Pour bénéficier de cette exonération, les importateurs chinois ont fait appel à des agences douanières privées et représentantes fiables en matière de TVA en Belgique qui déclaraient que la destination finale des marchandises était d’autres États membres. Pour ce faire, ils auraient utilisé des sociétés-écrans situées en France, en Allemagne, en Hongrie, en Italie, en Pologne et en Espagne en utilisant de fausses factures et des documents de transport falsifiés.
Cela a permis aux marchandises d’être vendues avec d’énormes bénéfices, tout en fraudant des organismes de recouvrement des droits de douane et de la TVA.
Dans certains cas, ils auraient utilisé le nom d’entreprises réelles qui ignoraient que leur numéro de TVA et leur identité avaient été volés. En réalité, les sociétés-écrans ne recevaient pas les marchandises, qui étaient en fait livrées à de vraies sociétés établies dans d’autres états membres, ou vendues à des consommateurs finaux par l’intermédiaire des places de marché en ligne dans plusieurs pays.
L’objectif de ces société-écrans était de détourner l’attention des inspecteurs en créant une fausse chaîne commerciale et en rendant les contrôles plus difficiles. Les marchandises étaient finalement vendues au consommateur final qui payait le prix total des produits, y compris la TVA. Toutefois, selon l’enquête, la TVA payée par le consommateur final n’a jamais été déclarée ni payée à une quelconque administration fiscale par l’organisation criminelle présumée, et a été conservée par le vendeur.
En ce qui concerne votre dernière question, je peux encore ajouter ce qui suit: l’enquête étant toujours en cours, il est encore trop tôt pour mesurer l’impact possible de cette enquête sur le filtrage des investissements chinois en Belgique. Néanmoins, l’accord de coopération du 30 novembre 2022 visant à instaurer un mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers prévoit que le Comité de filtrage interfédéral pourra prendre en compte le risque qu’un investisseur étranger exerce des activités illégales ou criminelles pour décider de l’ouverture d’une procédure de filtrage.“
Ma réplique :
Monsieur le ministre, je vous remercie pour la qualité, la longueur et le contenu de la réponse. Je vous remercie, et à travers vous évidemment l’action du gouvernement, pour le volontarisme qui est ici clairement démontré.
Trois cent millions d’euros, ce n’est pas rien. Ce n’est vraiment pas rien. C’est même énorme. Et c’est assez fou de se dire que nous en sommes à ce point. C’est de la véritable triche. C’est de la fraude à la TVA. Je pense, plus globalement, que nous commençons seulement – en Belgique et en particulier à Liège, dans ma région – à ouvrir les yeux sur les risques que peuvent représenter de tels investissements monstres dans l’e-commerce.
Je pense qu’il faut arrêter d’idéaliser la venue d’Alibaba et d’autres acteurs chinois à Liège Airport. Il y a quelques années on leur déroulait le tapis rouge dans la plus grande naïveté. Aujourd’hui, je vous entends, monsieur le ministre, parler de filtrage des investissements. Et je vous entends très clairement dire non aux activités illégales et criminelles. Selon moi, c’est le bon sens et c’est la voie à suivre. La loi vaut pour tout le monde, y compris pour des énormes sociétés mastodontes, également celles qui viennent de Chine.