Mali : la Belgique doit soutenir la société civile dans la transition démocratique

Une large partie du peuple malien, face à la recrudescence d’exactions des milices djihadistes dans le nord du pays, le regain de tensions entre agriculteurs et pasteurs dans la région centrale du Mopti et les soupçons de corruption et de népotisme qui planaient sur son gouvernement, s’était rallié sous une bannière, celle du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques, pour réclamer la démission du président en place Ibrahim Boubacar Keïta. La déception qui avait nourri ce mouvement était à la hauteur des attentes que Keïta avait fait naître, lui qui avait promis, lors de son investiture en 2013, d’être l’homme de la reconsolidation de l’autorité publique, la restauration des institutions démocratiques et la préservation de l’intégrité territoriale après la guerre de 2012 contre les forces djihadistes, le putsch militaire qui s’en suivit et la transition démocratique qui l’avait vu émerger en vainqueur.

Les difficultés qu’engendre le réchauffement climatique qui accélère la désertification du pays et augmente la concurrence entre ses populations pour l’accès aux ressources naturelles, couplées à la persistance de ces menaces extérieures et intérieures, a renforcé l’instabilité politique ambiante, jusqu’à provoquer le délitement des structures étatiques dans plusieurs de ses régions. Il semblerait que ce soit pour mettre fin à cet état de fait que, le 18 août 2020, une garnison militaire de la base de Kati, située à 15 kilomètres au nord de Bamako, a décidé de révoquer sa loyauté au gouvernement pour appuyer de ses armes les demandes de la rue. Une colonne de blindés a alors fait route vers la capitale pour encercler le palais présidentiel et engager des pourparlers avec son occupant. Le président n’est reparu que le lendemain à minuit sur les ondes de l’ORTM, la chaîne de télévision publique malienne, pour faire part de sa décision de démissionner. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est réunie en urgence, a suspendu le Mali de toutes ses instances, et a imposé dans la foulée une série de sanctions à son encontre dont les plus marquantes sont la fermeture des frontières.

La France est un autre acteur déterminant de la région. Et cela notamment parce qu’elle avait pris l’initiative, en 2012, sous la présidence de Hollande, de monter l’opération militaire dite Serval de soutien à l’armée malienne dans son combat contre les incursions djihadistes. Le calcul derrière cette opération était, outre le fait d’assurer des intérêts nationaux comme l’exploitation française des mines d’uranium au Niger voisin, d’empêcher la création d’un second état islamique dans la région du Sahel. Or, un communiqué diplomatique français ayant fuité semble indiquer que le Quai d’Orsay considére désormais un retour de Keïta aux affaires comme improbable au vu de l’ampleur du front qui s’est ligué contre lui. La solution privilégiée semble donc être le dialogue avec le gouvernement militaire de transition, qu’elle chercherait à obliger à honorer ses promesses d’organisation d’élections et de restitution du pouvoir à la société civile.

Pour la Belgique, le Mali constitue, à l’heure actuelle, l’un des lieux avec sa plus grande présence militaire. La Défense belge participe depuis 2016 à la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA), laquelle est complémentaire de l’opération française Barkhane qui a fait suite à l’opération Serval. Dans le cadre de cette mission, la Belgique fournit cinq militaires au quartier général de Bamako, une dizaine de spécialistes (analystes et agents de terrain) qui intègrent une unité allemande de renseignement, de surveillance et de reconnaissance de Gao ainsi que 55 militaires, faisant partie d’un peloton de multisenseurs au sein de cette même unité allemande. Son rôle est donc loin d’être négligeable, et je suis ces opérations de près au sein de la commission de suivi des opérations militaires à l’étranger à la Chambre.

Or, la Belgique se trouve actuellement dans une position assez inédite sur la scène internationale, tant grâce à la proximité de son ministre des affaires étrangères avec le Président du Conseil Européen que grâce à son siège au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations-Unies. Elle peut donc faire entendre sa voix au sein de ces organes intéressés au premier chef par le maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Au Parlement fédéral, je demande donc pour Ecolo que la Belgique :

– plaide pour une solution politique négociée qui passe par le dialogue ;

– s’assure que les sanctions imposées par la CEDEAO n’aggravent pas la crise humanitaire dans le pays et ne restreignent pas la liberté de mouvement des populations ;

– veille à la participation de la société civile et singulièrement celle des femmes et des jeunes,

composante essentielle de la société malienne, dans le processus de sortie de crise ;

– réclame que soit soustrait du champ des sanctions les financements des projets et initiatives humanitaires afin d’assurer une continuité des services sociaux de base attendus par les populations ;

– alarme sur l’instabilité géopolitique croissante que le réchauffement climatique ne cesse d’engendrer dans les régions déjà les plus vulnérables de la planète ;

– profite de l’inévitable redéfinition des missions internationales de stabilisation de la région pour plaider en faveur d’un rééquilibrage entre appui militaire et soutien aux processus de consolidation de la démocratie et de l’économie, en privilégiant nettement ce dernier point. En effet, le rétablissement de la sécurité restera fragile et tributaire d’une présence extérieure tant que la dégradation de la qualité de vie continuera de pousser les populations locales dans les bras des milices armées.

  • Cet article est publié grâce au travail de recherche de mon assistant parlementaire, Thibault Deleixhe